Appelle-moi juste Steve

Lap The Sucker

Bucheron
15 Mai 2012
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Plop tout le monde,
J'avais participé au concours du mois de juin sur Indius.fr (que j'ai perdu, par ailleurs) et comme le thème était en rapport avec Minecraft je me suis dit que ce serait sympa de poster ma création ici. Voilà, si vous aimez, lâchez les com' et peut être que je posterai d'autres choses, et si vous n'aimez pas non plus, d'ailleurs, c'est par l'échange que l'on apprend. Bonne lecture ;)
Pour info, le sujet du concours était : Qui est Steve (Minecraft), et pourquoi se trouve t-il dans ce monde rempli de cubes ?


Appelle-moi juste Steve


« Les bottes fraichement cirée de Steve heurtaient avec brutalité le sol en métal de la passerelle principale. Cela faisait maintenant plus de deux mois que leur vaisseau avait quitté leur planète d’origine, et Steve se sentait mélancolique, peut être un peu nostalgique, souhaitant implicitement et au plus profond de lui retrouver sa petite famille. Véronique, sa femme, qui venait de retrouver un poste de secrétaire dans un lycée, Bryan, son fils, qui allait bientôt fêter ses vingt et un an et, évidement, Dogfella, son gros chien baveux et tout poilu qui ne ratait pas une occasion de lui lécher le visage. Ah ! Que de souvenirs et que de choses précieuses laissées derrière lui au moment du décollage !
Mais malgré ces émotions péniblement et fatalement humaines, Steve éprouvait un bien-être inégalé, ou plutôt une soif d’aventure et une curiosité irrépressible. Car voilà maintenant deux jours que leur vaisseau était en orbite autour d’une planète nouvellement découverte qui, en plus d’accueillir les conditions nécessaires à la vie, accueillait la vie. Tout cela était si excitant ! Depuis le temps que les questions sur l’univers qui nous entoure étaient sans réponses, depuis le temps que la Science-fiction psalmodiait sans relâche des couplets sur la vie ailleurs, voilà qu’on découvrait une planète l’abritant ! Les scientifiques avaient de nouveau une érection et un espoir immense hantait les esprits à bord du vaisseau. Imaginez toutes les possibilités qu’une nouvelle planète offre ! C’était fabuleux ! Et justement, si Steve parcourait les passerelles avec tonitruance, revêtant son uniforme de militaire lavé et repassé, c’était justement parce que son capitaine voulait lui en parler.
En voyant son insigne de lieutenant, les deux gardes qui garantissaient la sécurité du maître à bord le laissèrent passer dans un salut militaire. Steve le leur répondit et passa les deux battants qui s’étaient écartés automatiquement pour entrer dans la cabine dudit capitaine. Ce dernier l’attendait devant un écran interactif.
“Ah, s’écria-t-il. Steve, vous voilà !“
Le concerné se mit au garde-à-vous et répéta le même salut de sa main droite avant de répliquer sur l’interrogative : “Mon capitaine ?
_ Repos, soldat !“
Steve s’exécuta tandis que son supérieur reprit : “Si je vous ai mandé, c’est pour planifier la première mission d’exploration dont je veux que vous soyez le chef…“
Le silence du lieutenant approuvait les paroles du capitaine.
“Je tiens cependant à vous mettre en garde, prévint ce dernier. Nos sondes de détection nous ont ramené des informations inquiétantes…“
Il toucha un icône holographique qui flottait dans les airs et un zombi en mouvement apparu devant les yeux de Steve ébahis.
“Ce nouveau monde semble peuplé de créatures hostiles diverses et variées…“
Le zombi laissa la place à un creeper qui, lui-même, fut remplacé par un Enderman.
“N’hésitez donc pas à faire feu au moindre mouvement, continua-t-il, la survie de votre groupe en dépendra. L’expédition est programmée pour après-demain, à l’aube. Je vous tiendrai informé d’ici là. Des questions ?
_ Oui… Par simple curiosité : que pensez-vous de ce qu’il adviendra de ce monde encore vierge ?“
Le capitaine semblait pensif.
“Vaste question, dit-il pour gagner du temps de réflexion. Je n’en sais fichtrement rien, ce n’est pas sur moi que repose ce genre de décisions, je ne suis que capitaine. M’enfin, en regardant notre histoire – la découverte de l’Amérique, la colonisation de l’Afrique, etc. – on peut aisément avoir des doutes sur le caractère radieux de l’avenir de cette planète…
_ Pourquoi ne pas garder le secret, alors ?
_ Arf ! J’ai bien peur que les choses soient plus complexes que cela… Les autorités de la Terre sont déjà au courant de l’existence de cette planète, et si nous désertons, d’autres viendront faire le travail. “
Le capitaine baissa les yeux au sol, puis, dans un… »
Steve froissa la feuille et la jeta dans la poubelle d’à côté. Ce scénario était trop prévisible, trop peu original. C’était un remix d’ « Avatar » et de « Terra Nova », ni plus, ni moins. La suite était facilement imaginable : les méchants militaires, capitalistes de surcroît, viennent massacrer les formes de vie présentent sur la planète afin de piller ses richesses pour soutenir la prospérité et l’abondance malsaine de la Terre. Sauf que Steve, gentil écolo et humaniste à ses heures perdues, décide d’intervenir pour arrêter la colonisation du monde récemment nommé Minecraft. Et comme le capitaine refuse de l’aider et que les militaires, ses propres camarades, ne veulent lui prêter assistance, pire, se placent contre lui, il décide de tous les dégommer et de faire disparaître des registres la localisation de Minecraft.
Steve n’avait pas encore trouvé comment son héros éponyme allait réussir ce coup de maître, ni comment il allait tenir à distance les futures et inévitables expéditions que sa planète mère ne pourrait qu’envoyer, mais voilà comment le scénario s’envisageait… Trop manichéen. Et de toute façon, Steve n’avait jamais aimé plus que cela la S-F.
Et pourtant, il fallait qu’il écrive ses mémoires, car, mine de rien, il était le seul être pensant sur toute l’étendue de Minecraft, ou en tout cas, il n’en connaissait pas d’autres, et ce n’est pas faute d’avoir cherché. Et quand on est un être unique, voire exceptionnel, on se doit d’écrire ses mémoires pour que les hypothétiques visiteurs qui passeraient par là après sa mort puissent voir à quoi ressemblait sa vie, et surtout, comment était-il arrivé là, d’où venait-il. C’est pourquoi il devait trouver l’histoire qui le mettrait le plus en valeur. Qui sait ? Peut-être de futures civilisations l’élèveraient au rang de dieu. Le fantasme était alléchant.
Ah ! Une autre idée vint titiller sa matière grise. Fini les aventures spatiales, faisons quelque chose de plus terre-à-terre ! Imaginons un ancien peuple aux connaissances très développées, style Atlantide, dont il ferait partie. Il suffisait ensuite de trouver comment ledit peuple s’était éteint, et comment lui avait survécu, devenant l’unique représentant d’une race supérieure. C’était pas mal, à vue de nez…
Bingo ! Une épidémie ! Une grave maladie aurait décimé les siens… Non, mieux ! Les siens s’étaient peu à peu transformés en zombis. Un bon scénar de zombis, il n’y avait rien de mieux ! Peu à peu, les derniers survivants mutaient, et, prenant son courage à deux mains, Steve se décida à les tuer pour ne pas prendre de risque. Un bon leader doit savoir faire des choix, aussi durs soient-ils. Voilà qui lui donnerait une image positive aux yeux du futur. Et ceci expliquerait en même temps pourquoi Minecraft est peuplé de terribles zombis, les vestiges de son peuple oublié. Après ce qu’il appellerait dans ses mémoires le Cataclysme – ou Grand Cataclysme, il ne s’était pas encore décidé (en insistant sur les majuscules, c’est important dans un bouquin comme cela, pour montrer la gravité du Truc) –, on pouvait très bien imaginer que la vie des Hommes s’était réorganisée, mais sous une forme plus primaire. D’où les PNJ villageois tout laids qui sont incapables de fabriquer la moindre chose – car on sait tous que leurs maisons ne sont pas le fruit de leur travail.
L’histoire tenait debout et avait de quoi plaire… Mais Steve n’en était pas pleinement satisfait. Il manquait quelque chose… Il voulait la centrer plus sur lui que sur Minecraft en général – voilà où conduit le narcissisme. Il voulait un scénario plus profond qu’une simple narration d’évènements qui ne ferait que plaire aux lecteurs comme l’industrie de la littérature moderne aime à faire. Il voulait un truc plus psyché, plus bizarre, plus absurde. Quelque chose d’original, en somme.
L’idée monta dans son cerveau comme un curé prend l’ascenseur. Steve saisit son bouquin portant comme titre sur la couverture « Mémoires de Steve, un mexicain pas comme les autres », l’ouvrit frénétiquement et se mit à écrire avec une fébrilité infantile :
« Steve regardait avec intensité les gourmettes métalliques qui lui faisaient mal aux poignets. De chaque côté de lui, un garde armé, impassible, faisait mine de le surveiller. Le ronronnement de la camionnette berçait perfidement ses tympans tandis que les lumières rouges qui attendaient à chaque coin du compartiment reflétaient des odeurs de souffre et de magnésium. A travers la petite lucarne de plastique, il pouvait voir le ciel et ses arômes qui projetaient sur lui l’amertume d’une liberté qu’il venait de perdre. Alors, mélancoliquement, il repensa à ce qu’il s’était passé ce matin là.
Ce matin là, il pleuvait dehors, mais d’une pluie rigide et allègre, sans vent ni tonnerre.
Ce matin là, la ville s’éveillait à peine sous les chants mécaniques du coq artificiel, chevauchant fièrement son clocher inaccessible.
Ce matin là, alors que les usines tournaient et que les tours s’agitaient, Steve poussa la porte d’une enseigne. L’artisan, arborant deux grandes oreilles velues et une petite trompe marron, était tapi derrière son comptoir d’où il jeta un regard maléfique à Steve. Ce dernier l’esquiva habilement en s’approchant du commerçant qui lui demanda poliment : “C’est pour ?
_ J’ai cassé mon cœur, répondit timidement le client potentiel.
_ Votre cœur ? Ces machins coûtent extrêmement chers, il faut y faire attention. “
Steve eut un soupir de désespoir avant de continuer : “Je sais bien… Mais j’économiserai, je ne mangerai pas s’il le faut !
_ La maison ne fait pas de crédits, répondit l’artisan en soufflant dans un pot à l’aide de sa trompe.
_ Mais j’en ai besoin !
_ Vous avez fait quoi, avec votre cœur ?
_ Je ne sais pas… Il m’a lâché ce matin. Je n’ai jamais rien pris de nocif, ni fait quoi que ce soit pour l’endommager ! Il ne fonctionnait juste plus ce matin…
_ Passez-le moi. “
Steve sortit son cœur tout rouge et tout mou de sa poche et le tendit au marchand. On pouvait bien voir qu’il ne battait plus.
“ Vous l’avez nourri correctement, demanda-t-il. Vous vous en êtes bien occupé ? Un peu d’affection chaque jour ?
_ Quand je le pouvais… Mais l’affection coûte de plus en plus cher, les cours n’arrêtent pas d’augmenter ! Mon portefeuille ne pouvait plus suivre…“
C’est à peu près à ce moment là que la police est arrivée, rentrant dans le bâtiment avec leur délicatesse caractéristique. Sans aucune forme de procès, ils enfilèrent les menottes à Steve en lui expliquant qu’il avait transgressé la loi et qu’il devait passer au tribunal pour être condamné, suite à quoi ils l’embarquèrent dans leur camionnette aux couleurs pétantes. Et c’est là-dedans qu’il attendait, sans savoir pourquoi, jusqu’à ce que le véhicule arrive à destination. Là, on le sortit et le traîna à l’intérieur d’un grand palais. Le malheureux eut juste le temps de constater qu’on l’emmenait dans le Tribunal Suprême, celui de la capitale, celui où le Conseil en personne faisait valoir ses verdicts.
Sans perdre de temps, on le fit s’assoir sur un banc devant ledit Conseil. Ce dernier, perché en haut de sa tour exagérément haute à l’architecture vague et imposante, était au complet : les treize membres étaient tous là, arborant chacun leurs masques de lapin blanc aux yeux vides, délavés, sans aucune once d’humanité.
“Silence, fit la voix crissante du maître du Conseil alors même que la salle était pratiquement vide et que personne n’avait eu le temps de parler. “
Il avait son long kilt noir et le marteau de la Justice dans sa main droite. On le distinguait des autres, outre le fait qu’il était au centre, par ses gros yeux rouges et exorbités. Les juges-lapins avaient la fâcheuse manie de se tordre et de se distendre dans l’espace, agrandissant ou rétrécissant leurs corps à leur guise. L’ambiance était inquiétante, oppressante tandis que les membres du Conseil allongeaient leurs cous afin de pouvoir se rapprocher de l’accusé apeuré.
“Nous sommes aujourd’hui réunis pour juger Steve, jeune impotent sans aucunes caractéristiques particulières, reprit le maître aux yeux affreusement mutilés et en forme de spirale. “
Sa voix était insupportable ! On aurait dit que les fenêtres allaient exploser et les tympans imploser. C’était comme un grésillement métallique aux relents post-apocalyptique.
“Steve, continua le même personnage, vous êtes condamné pour avoir rêvé durant votre sommeil. Que plaidez-vous ?
_ Coupable, avoua le concerné avec honte et courage. “
Les oreilles de lapin du maître bougeait en tout sens, prenant des positions parfois physiquement irréalisables, et de l’électricité passait d’un organe de l’ouï à l’autre. Il avait des frissons nerveux dans la nuque faisant agiter toute sa tête de manière aléatoire et inquiétante. On aurait dit qu’il bugait ou que son corps ne supportait pas quelque chose. Ses yeux rouges grossirent jusqu’à prendre la taille d’une paire de main et il frappa de son marteau la table avant même de prononcer la sentence : “Pour avoir rêvé, Steve, je vous condamne à vivre éternellement dans le rêve. “
Et c’est son rire démoniaque repris en chœur par les autres membres du Conseil qui restèrent gravés dans la tête de Steve alors qu’il reprenait connaissance le lendemain, assis sur de la cobblestone. »
C’était rudement mieux ! Le scénar plus original, la narration exquise et le texte en lui-même avait plus de profondeur, plus de goût. Mais bon… Des mémoires doivent-elles être avant tout une œuvre littéraire ? Parce que là, ce que Steve laisserait après sa mort, outre le clin d’œil assez évident à « Klonoa : Empire of dreams », c’était l’image d’une victime, d’un condamné, d’un rebut de la société. Et ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux quand on souhaitait se faire vénérer au moins autant qu’un dieu, si ce n’est plus. Car oui, son texte était bon, voire très bon, mais il n’était pas assez centré sur sa magnificence. C’était de l’Art pur et dur, certes, mais ce qu’il voulait avant tout, c’était une propagande qui tienne la route. Des mémoires n’ont pas besoin d’être écrite avec talent, juste avec mensonge et subjectivité. Right ? Et puis, non, ce projet était insensé ! Steve se leva et jeta ses propres mémoires dans un cube de lave qui trainait par hasard dans son palais.
Ses origines ? Foutaises ! Il n’en avait pas. Il était comme Dieu, il était présent avant toute chose, et cette vision lui plaisait. Il voyait d’ici quelques gâcheurs d’encre vouloir retranscrire son histoire, le voir en colonisateur venu d’ailleurs – car on ne peut coloniser sa propre patrie –, en survivant d’un peuple oublié, ou encore tant d’autres versions fausses et sans intérêt. Car la vérité est là : Steve n’a pas été créé et vient de nulle part, il est, tout simplement, et c’est amplement suffisant. Et puis, après tout, fallait-t-il lui inventé son histoire, et de ce fait l’histoire de Minecraft ? La particularité, le charme de ledit Minecraft ne résidait-il pas dans cette ignorance ? Prendrait-on autant de plaisir en lisant Boris Vian si l’on savait concrètement comment Chloé a chopé sa maladie, qu’elle est-t-elle, d’où vient-elle, et tant qu’on y est, qui est Colin et comment est-il devenu riche ? Non, le mystère cultive l’imagination, donc le rêve. Inventer des origines à Steve, c’était briser le mythe de Minecraft, c’est réduire à néant son mystère, donc sa splendeur, mais ce serait surtout brider les éventuels fantasmes des joueurs, que de fixer une histoire comme étant la vraie, l’universelle. Or, qui douterait de l’imagination comme moteur même de ce jeu aux milles et uns cubes ? Personne, et encore moins Steve, qui décida de laisser planer le doute sur son identité et ses origines.
 

Bzzank

Psychopathe qui aime les pates
16 Décembre 2013
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J'ai été déçu par la fin, au début quand tu a commençais a parler du vaisseau j'ai crus que tu allait faire une histoire du genre: Steve est lâchait seul sur une planète inconnue et son vaisseau l'abandonne le croyant mort ... mais non, d'un coup le scénario est devenu bizarre (un peu comme Alice au pays des merveilles) et j'ai pas trop aimé. Mais en dehors de l'histoire, j'aime bien ton style d’écriture.