Chez Minecraft.fr, nous avons suivi Hytale dès son annonce. En 2018, le projet nous a immédiatement séduits. Un “Minecraft plus ambitieux”, porté par Hypixel et financé par Riot, avec une bande-annonce impressionnante et une vision prometteuse. Comme beaucoup, nous avons voulu y croire.
Mais au fil des années, les retards se sont accumulés, les annonces se sont faites creuses, et l’enthousiasme a laissé place à la lassitude. Quand nous avons commencé à en douter publiquement, certains nous ont accusés de mauvaise foi. Pourtant, la suite nous a donné raison. Voici, année par année, l’histoire d’un échec annoncé.
2015 – La genèse d’un projet parallèle
L’histoire de Hytale commence dans les coulisses d’Hypixel, l’un des serveurs Minecraft les plus populaires au monde. Lassée des limites imposées par le moteur du jeu de Mojang, une partie de l’équipe imagine un nouveau titre, indépendant, pensé dès le départ pour accueillir mini-jeux, modding, aventure et construction. Le développement débute en petit comité, dans un relatif anonymat.
2018 – Une bande-annonce virale, une attente immense
Le 13 décembre, Hypixel Studios dévoile Hytale au grand public avec une bande-annonce explosive. En quelques semaines, la vidéo atteint plus de 30 millions de vues. L’esthétique voxel, le système de quêtes, les outils de création, les combats : tout rappelle Minecraft, mais en plus ambitieux.
Le succès est immédiat, presque démesuré. Certains y voient déjà le successeur de Minecraft. Pourtant, derrière les images léchées, aucun prototype jouable n’est encore présenté.
2019 – Une communauté en ébullition, un studio débordé
Face à cet engouement, le studio s’organise. Des billets de blog réguliers détaillent les systèmes du jeu, ses ambitions techniques et artistiques. Mais la pression monte vite. L’équipe est encore modeste, et les demandes de la communauté sont immenses.
Les premières inquiétudes apparaissent : l’absence de gameplay concret, l’imprécision sur la date de sortie, et une communication déjà ralentie laissent entrevoir la difficulté à concrétiser une vision aussi large.
2020 – Riot Games entre dans la danse
Le 16 avril, Riot Games (League of Legends, Valorant) annonce le rachat d’Hypixel Studios. L’opération, évaluée à plusieurs millions de dollars, semble offrir au projet une nouvelle assise. Un siège est ouvert à Derry, en Irlande du Nord, pour structurer la production. Objectif toujours affiché : une sortie en 2021.
Mais en interne, la réalité est plus complexe. Le jeu peine à tourner sur son architecture initiale. Les bases techniques, pensées pour le PC, montrent vite leurs limites.
2021 – Premier report officiel, virage technique
L’équipe annonce que le développement bascule vers une version multiplateforme : PC, consoles et mobiles. Cela implique une refonte profonde du moteur, initialement écrit en C# et Java. Ce changement repousse la sortie à 2023 au minimum.
Ce choix, stratégique, alourdit considérablement le chantier. Le mot reboot circule en interne. La promesse d’un jeu tout-en-un devient de plus en plus difficile à tenir.
2022 – Réécriture en C++ : le vrai faux départ
C’est l’année du grand basculement technique. Toute l’architecture du jeu est réécrite en C++. Ce changement vise à améliorer les performances, faciliter le multiplateforme et assurer la pérennité du projet. Mais ce choix implique aussi de repartir presque de zéro.
La communication devient sporadique. Aucune version jouable n’est présentée. L’excitation laisse place à la frustration. Certains observateurs commencent à parler de vaporware.
2023 – Un moteur neuf, mais un contenu en panne
Le nouveau moteur fonctionne enfin. Mais il faut désormais réintégrer tout le contenu créé depuis 2015. Un travail colossal, que l’équipe sous-estime peut-être. Les mois passent sans avancée visible.
L’équipe partage quelques visuels et réflexions techniques. Mais l’absence de démo publique continue d’alimenter les doutes. Le public attend, encore.
2024 – Derniers espoirs, dernier silence
À l’été, Hypixel Studios annonce que la migration vers le moteur C++ touche à sa fin. Le projet semble avancer… mais à nouveau, aucun gameplay n’est montré. En coulisses, Riot Games commence à chercher d’éventuels repreneurs pour financer la suite.
Le studio évoque toujours une possible bêta en 2025, mais sans engagement ferme. La confiance est au plus bas.
2025 – L’annonce de trop
Le 23 juin, la nouvelle tombe : Hytale est annulé. Dans un message sobre, Noxy explique que le projet, malgré tous les efforts, n’a pas réussi à atteindre un stade satisfaisant. Trop ambitieux, trop complexe, trop coûteux.
Riot Games entame le démantèlement d’Hypixel Studios. L’histoire se termine sans jeu, mais avec une décennie d’attentes, de concepts, et d’enseignements sur les limites du développement de jeux AAA… sans cadre AAA.
Pourquoi l’échec de Hytale semblait inévitable
Avec du recul, Hytale portait en lui les germes de son propre effondrement. Dès l’origine, le projet tentait de cocher toutes les cases : aventure scénarisée, sandbox ouvert, modding intégré, compatibilité multiplateforme, graphismes personnalisables… Trop de promesses, pour une équipe modeste, dans un cadre technique mouvant.
Le développement a rapidement été pris en étau entre deux forces : une communauté exigeante, nourrie d’un enthousiasme viral dès 2018, et une ambition démesurée qui a condamné l’équipe à réécrire sans cesse son jeu. Chaque annonce entraînait de nouvelles attentes. Chaque retard fragilisait la confiance.
En parallèle, Minecraft consolidait son emprise. Moddable, mis à jour en continu, porté par une communauté fidèle et par Mojang, le jeu cubique laissait peu de place à une alternative. Pour s’imposer, Hytale aurait dû proposer une rupture franche. Il s’est contenté de vouloir faire « mieux » sans jamais réussir à faire « autrement ».
Plus qu’un échec technique, Hytale illustre les dangers d’un projet trop exposé, trop tôt, sans garde-fous industriels. Une ambition sincère, mais emportée par sa propre promesse.