Prenons alors un exemple concret.Personnellement je pense comme Descartes et je vois plus la façon de penser des animaux comme des "animaux machines", les animaux pensent de façon impulsives et irréfléchie, ils n'ont pas de patients moraux ou juridiques, ils ne réagissent pas par la pensée, mais surtout par les émotions et l'instinct. Je vois plus ça comme ça.
Je décide d'écraser avec vigueur ton orteil, puis la queue de ton chat. Tu lances une interjection articulée. Le chat miaule. L'homme cartésien va donc te demander si tu as saisi la différence. Tu réponds que non, cet homme a marché sur ton pied et sur la queue de ton chat. Vous avez eu mal, et tu as crié : « ouille ! » en français, et ton chat « miaou ! ». L'homme cartésien va en conclure que ta réponse prouve clairement que tu n'es pas une brute, mais un animal raisonnable, un être qui connaît la douleur et s'exprime correctement. Ce même homme va s'adresser à ton chat, lui demandant ce qu'il a senti. Le chat, bien évidemment, ne répondra pas. Le félin a beau battre le tapis de sa queue, tirer ses oreilles en arrière et pousser des sifflements qui n'ont pas de sens. Pour lui, son silence prouve clairement que c'est une bête brute, une souricière perfectionnée certes, mais une mécanique.
Son explication : quand j'ai posé mon pied sur la queue du chat, les « esprits animaux », c'est-à-dire les particules matérielles qui s'y trouvaient, et que nous appelons influx nerveux, ont reflué le long de ses nerfs jusqu'à une petite glande située dans son cerveau, une glande que des savants qualifient en latin de pinéale, parce qu'elle ressemble à un pois, ou qu'ils appellent en grec conarion, parce qu'elle ressemble à une petite pomme de pin. Son maître a comme lui une glande pinéale dans son cerveau. À cette glande serait attachée une chose que nous appelons une âme, et sur la nature de laquelle les philosophes ont discuté et discuteront jusqu'à la fin des temps. Quoi qu'il en soit, c'est cette âme qui aurait donné à Sigma une impression de douleur, ce qui lui a permis de répondre à l'homme cartésien dans un langage intelligible. Mais le chat, lui, n'a pas répondu à sa question, donc n'a rien senti, et par conséquent n'a pas d'âme. C.Q.F.D. En criant « miaou ! » la machine qu'il est a fonctionné comme le klaxon d'une voiture automobile.
Ce raisonnement ne serait-il pas un tantinet arbitraire, sachant que la réaction des deux entités de l'expérience est quasiment la même ?
L'on pourra également observer ce chat filer à toute vitesse, la queue hérissée. Il fuyait devant un chien. Tu te dis : « Le chien a envie d'attraper le chat, et le chat a peur, parce qu'il ne veut pas que le chien l'attrape. C'est pour cette raison qu'il se sauve. »
Il est possible de traduire ce récit en langage cartésien : « Hypothèse : Une machine aboyante M1 se dirige à la vitesse V1 vers une machine miaulante M2 qui s'éloigne à la vitesse V2. Conclusion : Si V1 > V2, M1 se rapproche progressivement de M2, et les deux machines se rencontreront au point P. » Il m'est du reste aisé de vous présenter une représentation graphique des faits : espace en abscisse, temps en ordonnée. M1 et M2 se rencontreront au point d'intersection P.
Mais cette représentation graphique cartésienne a négligé la troisième coordonnée. Le chat, qui mène la course, choisit la direction. Je me précipite et arrive à ce point P, où se dresse un arbre, au même instant que les deux bêtes. Je comprends la raison qui a incité me chat à choisir l’itinéraire qui mène à cet arbre. M’adressant au chien, je crie, dans le but de le faire partir. L'animal regagne la demeure de son propriétaire, serrant la queue et portant bas l'oreille. C'était à son tour d'avoir peur. Entre-temps, le chat met à profit le loisir que lui laisse mon entretien avec le clébard. Il grimpe à l'arbre, s'arrête à la première fourche, observe la retraite de l'ennemi, et jette un coup d'œil vers le pied de son perchoir, où je l'attends. Comprenant que le danger s'est éloigné, il descend tranquillement et m'accompagne à la maison où il retrouve son écuelle et son coussin.
Dois-je croire que ces deux « machines » ont été programmées dès qu'elles ont été engendrées, de telle sorte qu'elles se comporteront très exactement l'une envers l'autre comme elles le feront des années plus tard au lieu L à l'heure H ? Le chien a cinq ans, le chat trois ; le premier est né dans la Moselle, le second dans la Meuse. La poursuite eut lieu hier dans le Haut-Rhin. Ces données contingentes échappent à toute programmation.
C'est alors que l'homme cartésien va me répliquer que les choses que j'appelle chien et chat sont des machines très, très perfectionnées, comme seul le « bon Dieu » peut en faire, mais que nous finirons par le rattraper grâce à la discipline appelée cybernétique. Descartes a parlé « des chiens et des chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu'ils ne les ensevelissent presque jamais ». Selon lui, nous créerons des machines capables de produire des excréments, et de les enfouir correctement. Je vais donc lui répliquer que les chats enfouissent bien leurs excréments si la terre – celle des semis en particulier – est meuble. Si les chiens creusent la terre, c'est pour attraper des rats ou creuser des tunnels. Ils abandonnent leurs excréments n'importe où. Les uns et les autres auraient-ils changé d'habitudes depuis le temps de Descartes ?
Revenons à mon histoire. Imaginez qu'un ivrogne en fureur fonce sur vous en brandissant un coutelas. Vous prenez vos jambes à votre cou et filez en direction du poste de police le plus proche. Ce que voyant, l'ivrogne se sauve dans la direction opposée. Une fois de plus, je ne saisis pas la différence entre les machines-machines et les machines raisonnables.
En conclusion, je pisse donc cordialement à la raie de notre camarade René.